Migration assistée des arbres et emballement climatique ?

Migration assistée des arbres et emballement climatique ?

Richard Michalet, Christopher Carcaillet, Florian Delerue, Jean-Christophe Domec, Jonathan Lenoir Assisted migration in a warmer and drier climate: less climate buffering capacity, less facilitation and more fires at temperate latitudes? 2023, OIKOS. https://doi.org/10.1111/oik.10248

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Jean-Christophe Domec

Contexte

Depuis des millénaires les plantes déplacent leur aire de répartition à travers les continents en réponse aux changements climatiques. Les projections des changements climatiques contemporains montrent que plusieurs espèces et populations d'arbres (espèces ligneuses à longue durée de vie) migrent plus lentement que prévu. L'accélération actuelle du changement climatique empêche ces espèces de réagir suffisamment vite, ce qui a déjà des conséquences négatives sur la croissance des forêts, la réaction aux perturbations, la gestion et la conservation.

La migration assistée est l’une des stratégies d’adaptation choisies par les filières sylvicoles pour s’assurer que les espèces utilisées en reboisement pourront garantir la résilience des systèmes forestiers. Cela consiste à transplanter, par exemple en France, du pin, du cèdre ou des chênes sempervirents, en substitution des espèces originelles natives comme le chêne pédonculé ou le hêtre. Ainsi, ces espèces, parfois exotiques et en provenance de régions plus chaudes, sont transplantées dans des régions au climat actuel plus froid pour devancer les changements climatiques.

Des études montrent que cette stratégie peut atténuer les effets négatifs du changement climatique sur la croissance et la survie des arbres. Cependant, il a été également montré que dans des scénarios climatiques plus sévères, cette méthode ne parvient pas à atténuer les effets délétères du stress hydrique et augmente la respiration au détriment de la productivité. Un autre problème peut être l'introduction d'espèces exotiques et envahissantes.

L’objectif de l’article est de mettre en évidence d'autres limitations fonctionnelles et écosystémiques.

Démarche

L’analyse en composantes principales (ACP) a été utilisée pour analyser la variation de 7 caractéristiques de 106 espèces d'arbres et de grands arbustes provenant de distributions latitudinales contrastées dans l'ouest de l'Amérique du Nord et de l'Europe, afin de prédire les changements fonctionnels potentiels des écosystèmes forestiers dus au transfert d'espèces d'arbres des basses vers les hautes latitudes.

Principaux résultats

Évolution de la composition fonctionnelle et des conditions environnementales dans les communautés forestières des latitudes nord et sud. (a) : forêt feuillue humide climat tempéré (arbres à grandes feuilles) ; (b) : forêt sempervirente subhumide climat méditerranéen (arbres à petites feuilles). La hauteur des arbres et la surface foliaire diminuent avec la latitude et le stress hydrique. Cela induit une augmentation de la transmission de la lumière dans le sous-étage forestier (colonnes jaunes à droite de chaque panneau) et, par conséquent, une diminution de l'effet tampon sur les températures extrêmes, ainsi que la déshydratation des litières qui augmente le risque d'incendie.

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Les espèces méridionales plus tolérantes à la sécheresse sont généralement caractérisées par des feuillages persistants et des feuilles plus petites interceptant moins la lumière. Ce changement d’espèces pourrait fortement altérer les écosystèmes forestiers. Une fois introduites plus au nord, ces espèces devraient diminuer la quantité d’eau transpirée par les arbres, ce qui réduira les effets naturels d’atténuation thermique des forêts. Cela engendrerait un dérèglement de leur bilan énergétique à l’interface atmosphère-canopée qui régule le fonctionnement climatique planétaire, mais également une dégradation du microclimat des sous-bois favorables à la biodiversité. Les effets sont particulièrement marqués en Europe, mais bien moins en Amérique du Nord.

La migration assistée pourrait accroître le risque d’incendie de forêts et donc entraîner probablement un emballement du réchauffement global. On obtiendrait le contraire exact des objectifs ayant motivé cette stratégie.

Un changement de paradigme forestier est nécessaire en s’appuyant sur les ressources originelles des forêts, en facilitant leurs acclimatations au nouveau climat plutôt qu’en les manipulant trop, au risque d’accélérer encore plus le processus de réchauffement global. Parmi les solutions alternatives pour éviter un emballement climatique, la migration assistée dite « intra-spécifique » par « flux de gènes assistés » est préférable. Elle consiste à aller chercher des provenances, sous formes de graines, dans des régions plus chaudes et sèches tout en restant au sein de l’aire d’indigénat de l’espèce et de les introduire en mélange avec les provenances plus locales, permettant ainsi de renforcer la diversité génétique.

Modification date : 02 February 2024 | Publication date : 02 February 2024 | Redactor : Valérie Sappin-Didier / Stéphane Thunot